Hommage aux martyrs du massacre de Sacaba en Bolivie 

« Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes le peuple »

Le 15 novembre 2019, des milliers d’habitants de la ville de Sacaba en Bolivie se dirigent vers le centre-ville de Cochabamba afin de protester contre le coup d’Etat orchestré contre Evo Morales 4 jours plus tôt. Avant même de pouvoir atteindre la place principale, ces manifestants largement issus des couches populaires de Sacaba ou de la province du Chaparé sont violemment réprimés par la police et l’armée au niveau du pont Huayllani. Ces dernières tirent à balles réelles sans sommation sur une foule désarmée, le bilan sera d’au moins 11 morts et 120 blessés(1). La veille, le gouvernement putschiste avait signé le décret 4078, visant à immuniser de toutes responsabilités pénales « le personnel des forces armées participant à des opérations de rétablissement de l’ordre intérieur et de la stabilité » pour toute action entreprise en réponse aux manifestations.

Les témoignages suivants émanent de manifestants ou témoins présents au moment du massacre, s’exprimant au cours d’une l’assemblée populaire à Sacaba le 2 janvier 2020 et d’une réunion informelle de militants à Cochabamba fin décembre 2019. La police et l’armée n’ont subi aucune perte et pour cause chacun témoigne ici du caractère pacifique de la manifestation.

Une jeune femme militant dans le groupe résistance juvénile de Wayana nouvellement formé après le massacre témoigne :

« Les policiers ont tiré une 1ère salve puis 2e salve de lacrymogènes, ensuite ils ont tiré à balles réelles […] Ils nous ont abattus comme des chiens. La 1ère ambulance est arrivée seulement une heure après, les blessés ont dû se débrouiller avec des taxis. » La jeune femme relate avoir accompagné trois blessés dans la clinique privée la plus proche. Arrivé sur place, le personnel de la clinique leur a répondu dans un premier temps qu’il n’y avait « pas de médecin », qu’on ne pouvait pas les soigner, avant de finalement leur dire « Masistas, no atendemos» (2) . « Nous avons dû trouver un autre hôpital » poursuit-elle.

Ce n’est pas un hasard si des manifestants dénonçant le coup d’Etat se sont vu refuser les soins. Le corps médical, historiquement très à droite en Bolivie, a très largement appuyé le coup d’Etat, notamment à la Paz à travers des corporations médicales très organisées. La jeune femme indique également que certains de ses amis blessés avaient des balles dans les jambes mais ne sont pas allés à l’hôpital par peur d’être dénoncés et arrêtés. Celle-ci poursuit : « La scène a été nettoyée entièrement donc il n’y a pas de preuve ». « Les rapports d’autopsie indiquent seulement « mort par balles », sans aucune précision, pas de localisation des balles, pas de taille ni calibre […] il n’y a pas eu d’analyse balistique ».

Bien que la CIDH (commission interaméricaine des droits de l’homme) ait qualifié les événements de « massacre », le gouvernement putschiste a expliqué que les manifestants s’étaient entretués. La jeune femme relate des dizaines de blessés et de disparus. Elle évoque également un jeune photographe qui « avait pris pleins de photos des morts et blessés gisant à même le sol à l’hôpital, il avait été menacé de mort à plusieurs reprises dans l’hôpital s’il continuait à prendre des photos […] Il a disparu ». Les journalistes ne relayant pas la fable officielle font l’objet d’une répression importante, l’état putschiste les qualifiant de « séditieux ».

La jeune femme exprime également sa déception vis-à-vis de l’attitude des dirigeants du MAS présents le jour du massacre, organisateurs de la marche et qu’elle décrit comme étant tranquillement à l’arrière en train de regarder, envoyant les jeunes au front de la manifestation et temporisant alors même que la répression débutait. Mais plus encore : « Le lendemain les gens à Sacaba étaient chaud, très remontés, mais les dirigeants du MAS ont temporisé et n’ont pas appelé à sortir dans la rue ». Il n’y a donc pas eu de manifestation.  Ce témoignage vient étayer un autre enseignement de la crise bolivienne, celui de la faillite des représentants traditionnels et du manque d’auto-organisation populaire.

Une autre jeune femme portant son enfant témoigne : « il y avait un jeune à mes côtés, ils lui ont tiré une balle dans la tête, ils lui ont tiré dessus ! à ce moment je ne savais plus si je devais sauver le jeune ou protéger mes enfants. Ici il y a eu un massacre par balle, je suis témoin de cela ». Elle n’était pas venue manifester mais « aider pour les boissons et la nourriture ».

Une infirmière d’une trentaine d’année, présente sur place comme volontaire de santé avec un groupe de paramédicaux témoigne : « Nous avons soigné environs 200 personnes, des vieux, des jeunes, des blessés par balle. Les gens n’étaient pas armés comme l’affirme les putschistes […] La croix rouge n’était pas là. » Selon elle, son groupe de volontaires s’est violemment fait prendre à partie par la police : « Pourquoi vous aidez ces indiens de merde […] si vous continuez, on va vous embarquer ». Essayant de justifier leur présence comme un devoir de soin en tant que personnel de santé, un volontaire a été violemment traîné puis embarqué par la police.

Ces témoignages sont largement corroborés par un récent rapport de l’université d’Harvard (IHRC) s’intitulant : « ils nous ont fusillés comme des animaux »(1).

Il s’agit malheureusement du énième massacre d’un peuple se soulevant contre le joug de l’oppression, cette fois ci incarné en Bolivie par un gouvernement putschiste d’extrême droite, raciste et inféodé aux intérêts des puissances occidentales. Au moins trente-six personnes ont été massacrées du 10 au 27 novembre 2019 en Bolivie, des milliers d’autres sont mortes depuis en raison notamment d’une gestion catastrophique et criminelle de la crise sanitaire liée au coronavirus. A l’heure où la bourgeoisie bolivienne bricole et use de subterfuges pour rester au pouvoir sous une forme ou sous une autre, les peuples en luttes du monde entier se doivent d’honorer la mémoire de ces martyrs victimes d’un système barbare.

Références.

  1. IHRC. Aout 2018. « They Shot Us Like Animals »: Black November & Bolivia’s Interim Government. Consulté le 10.08.2020 sur http://hrp.law.harvard.edu/wp-content/uploads/2020/07/Black-November-English-Final_Accessible.pdf.
  2. En français : « nous ne soignons pas les Masistas ». Les masistas sont les boliviens en faveur du MAS (movimiento al socialismo), parti politique d’Evo Morales.

 

Photos: 1ère journée de commémoration du massacre de Sacaba, 3 janvier 2020, proche du pont Huayllani, Sacaba.


 

Photos: Assemblée populaire de Sacaba, janvier 2020.


Photo: Kermesse solidaire en soutien à Julio Pinto Mamani, père de 5 enfants et membre du syndicat 2 de Junio de la Central Independiente. Ayant reçu une balle dans la tête lors du massacre de Sacaba, Julio était dans le coma depuis le 15 novembre 2019. Il est décédé le 11 juin 2020.